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Julien René

Introduction

A Jean-Baptiste Carpeaux, son ami Foucart écrivait « Sois de ton temps et de tous les temps". A bien des égards ce précepte quelque peu autoritaire et plus aisé à émettre qu a suivre s'applique à la sculpture de René Julien. L’oeuvre en cours s'offre aujourd'hui dans une
rétrospective et dans cet ouvrage le fruit d'une double volonté : s'inscrire dans le droit fil d'une célébration de la figure que, depuis cinquante ans, Giacometti et Richier, Marino Marini ou Botero, Segal ou Duane Hanson, Ousmane Sow tout récemment ont soumise à des
interprétations libres, mais cependant respectueuses du donné naturel et sans jamais aller jusqu'aux inventions totémiques de Miro, Ernst ou Picasso, aux allusions de Gargallo et de Zadkine, aux archétypes de Brancusi et d'Arp, à la verve ahurissante de Chaissac
Mais une fois allégeance faite à la toute puissance de l'anatomie, peut s'affirmer la seconde de ces volontés : laisser place au subtil décalage des récits sous-jacents, ébranler la rassurante certitude, celle de reconnaître un corps dans ces objets de bronze, d'une
chiquenaude malicieuse ou perverse, trait d’un temps où l'évidence d'une forme alerte le spectateur bien autant que son camouflage, sa destruction ou son travestissement. Et c'est un autre enfant de la Belgique moderne, René Magritte, qui en dessinant le fameux Ceci
n’est pas une pipe énonçait parmi les premiers ce conseil majeur qui s'impose à notre lecture de la réalité : s'en méfier plus elle semble s'imposer.

Revenons à Carpeaux, qui avait d'abord organisé sa célèbre ronde de La Danse autour d'une figure très notoirement féminine, puis se ravisa sur les conseils du Docteur Batailhé et substitua un corps viril à la première esquisse, une opulente bacchante. La modification
aurait pu tourner à la fête priapique si Carpeaux ne s'était arrêté en chemin et n'avait conservé pour la tête du célèbre joueur de tambourin son modèle, une femme, Hélène de Racovitza. Androgyne, La Danse l'est à coup sûr, comme l’est Valérie au cerceau (1988) et le
personnage aux bras étendus du premier groupe à gauche devant Le Charlemagne, bâtiment de la Communauté européenne à Bruxelles (1996-97). Dans le monde peuplé de femmes qu'est celui de René Julien, au coeur de cette exclusivité quasi-obsessionnelle
accordée au sexe en -euse - Les Navetteuses, La Golfeuse, La Vertueuse - vient s'insinuer l'ambiguïté du corps inachevé, celui du Jeune Bara de David (Musée Calvet, Avignon), tandis qu'en toute logique l’idéal féminin éclate dans La Trentaine (1988). Le couple mère-
fille, femme-enfant apparaît au moins deux fois dans l’œuvre du sculpteur, emporté par la vie, bref cheminement de l'adolescence à la maturité, étonnante et sensuelle métamorphose offerte à nos yeux.

Cheminement et métarnorphose, donc : dans ce vaste corpus des corps en devenir, figure un Totem qui nous éclaire sur l’étroit rapport que les sculptures de René Julien entretiennent avec le mythe : Daphné, nymphe aimée d’Apollon et pourchassée par le dieu, implore
son père de lui épargner la capture. Il en fait un laurier, qui couvre le jeune corps d'écorce, les bras d'une ramure et ne laisse bientôt dans ceux, éperdus, du dieu qu’un arbre attaché à la terre. Le sculpteur inverse ici le cours du poème d’Ovide et fait renaître la femme de
l’arbre noueux, hommage à la nature et aux ferments qui la travaillent, engendrement dont la fable antique sut si bien, la première, s'étonner.

Fable moderne en revanche, que content ces deux enfants jouant à Saute-mouton et dont René Julien fait au bord du fleuve le symbole du lien entre deux rives, la négation de l'obstacle qui sépare et l'hommage à l'énergie humaine qui s'applique à réconcilier. Beau
message dans une Belgique schizophrène dont il sait, pour avoir été à la tête de grands établissements d'enseignement, à quel point se divisent et s'affrontent les cultures et les langues.

Le travail du sculpteur - donner une forme à la pensée - ne relève cependant pas de la démonstration, mais de la coïncidence entre expression et sens. Le Saute-Mou

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